Assurer la victoire du mouvement et renforcer le NPA

Cela fait désormais près de deux mois que la mobilisation contre la loi Travail a démarré. La mobilisation pour le retrait de la loi El Khomri s’est imposée comme l’élément central de la situation sociale et politique du pays après avoir bousculé, avec la journée du 9 mars, les cadres et les échéances tracés par les directions syndicales. 

Le succès du 9 mars est le résultat, d’une part, d’une colère sociale existant depuis des mois, et d’autre part, de la prise d’initiatives de secteurs « avancés » d’une partie de notre camp social : collectif « On vaut mieux que ça », appel sur les réseaux sociaux émanant d’une poignée de militants syndicalistes « lutte de classe » – notamment de la CGT –, appel des organisations de jeunesse à l’initiative du secteur jeunes du NPA.

Ce mouvement révèle la colère sociale qu’on sentait venir depuis l’automne dernier, notamment avec les salariés d’Air France et l’élan de solidarité ouvrière autour de la « chemise arrachée », une colère remise à l’arrière-plan par les attentats du 13 novembre et la mise en place de l’état d’urgence par le gouvernement Hollande-Valls. Le rejet de la loi El Khomri cristallise le rejet plus profond de l’ensemble de la politique de ce gouvernement entièrement dévoué aux intérêts du patronat et aussi, de manière de plus en plus flagrante, de cette « société-là » qui met « les jeunes dans la galère et les vieux dans la misère ». Si la dernière victoire significative à une échelle de masse est celle de 2006 contre le gouvernement Villepin, obligé de retirer le CPE, une victoire sociale d’ampleur semble possible pour la première fois depuis près d’une décennie. Le gouvernement n’a jamais été aussi faible et discrédité. Il a été obligé de remballer pitoyablement son projet de loi sur la déchéance de nationalité, alors que des scandales financiers comme le Panama Papers éclatent au grand jour, révélant la pourriture d’un système marqué par la recherche du profit maximum. Le déchaînement de la violence policière et la criminalisation accentuée du mouvement social et syndical sont également les signes de l’extrême fébrilité d’un pouvoir qui tente de manière de plus en plus grossière de faire passer les acteurs de la contestation sociale pour des casseurs et des asociaux.

Combinés ensemble, la mobilisation dans la jeunesse, le mouvement de grèves dans le monde du travail et l’affaiblissement du gouvernement font surgir tous les éléments d’une crise sociale et politique majeure. Son issue n’est certes pas évidente, mais on peut estimer que l’intervention des militants anticapitalistes et révolutionnaires – et notamment ceux du NPA – sera en partie déterminante pour que cette crise débouche à la fois sur le retrait de la loi et sur une meilleure publicité d’un autre projet de société, où chacun pourrait vivre selon ses besoins et ses moyens en se débarrassant des rapports de production capitalistes.

Une grève générale encore en devenir 

Les caractéristiques de ce mouvement sont différentes de celles de 1995, 2003 et 2010, parce qu’il n’y a pas encore à ce jour de secteur professionnel en grève reconductible jouant un rôle de locomotive. Dans la jeunesse étudiante, le mouvement est très différent de celui de 2006 contre le CPE, car il n’a pas réussi à devenir majoritaire parmi les étudiants, et compte tenu de la période d’examens puis de la fin de l’année universitaire, il semble peu probable que cela change. Les facs réellement en grève et/ou bloquées sont restées minoritaires à l’échelle nationale, et les assemblées générales ont été peu suivies comparativement au nombre d’étudiants présents dans les manifestations.

Les organisations syndicales formant le front du refus de la loi Travail affichent une certaine fermeté tout en privilégiant des journées ponctuelles de mobilisation, que nombre d’acteurs impliqués dans le mouvement qualifient de « journées saute-moutons » mais qui ont de fait, pour l’instant, plutôt contribué à étirer dans le temps le calendrier de l’affrontement et à ancrer la mobilisation : 9 mars, 31 mars, 9 avril, 28 avril, 1er mai, 3 mai... Même si ces journées n’ont pas toutes eu la même valeur, elles soufflent sur les braises de la colère et n’ont pas encore eu le rôle d’épuisement que d’autres calendriers de ce type ont pu avoir par le passé. En revanche, dans l’un des secteurs professionnels qui pourraient jouer un rôle d’entraînement, celui des cheminots, la politique de la fédération CGT est vraiment un frein : on constate une volonté délibérée de désynchronisation, entre la lutte contre le décret-socle (casse du statut des cheminots, comparable à la casse du Code du travail) et celle contre la loi Travail. En effet, les taux de grève chez les cheminots étaient très forts le 9 mars, et donc propices à la reconduction de la grève. Quant à la direction de Sud Rail, syndicat relativement bien implanté par rapport à d’autres syndicats de Solidaires, elle n’a pas été en capacité de se départir, le 9 puis le 31 mars, de son suivisme vis-à-vis de la fédération CGT ; après le 26 avril, elle s’est finalement révélée impuissante à donner, à elle seule, de la consistance à son mot d’ordre de reconduction de la grève. Le résultat du congrès de la CGT, avec son appel tout en ambiguïté sur la grève reconductible, et la participation de Martinez au meeting de « Nuit debout » place de la République le soir du 28 avril, sont révélateurs des profonds remous qui agitent la CGT de haut en bas. Principal acteur bureaucratique de la lutte en cours, et désignée comme le premier fauteur de troubles par le gouvernement, le patronat et les médias bourgeois, la direction confédérale de la CGT est soumise à de multiples pressions contradictoires. Du côté de la direction de Solidaires, rien n’indique une volonté politique de sortir du rôle d’aiguillon de gauche de l’intersyndicale, et de prendre seule des initiatives capables de faire sauter quelques verrous ; cependant, rien n’empêche des équipes locales ou des militants des syndicats de Solidaires de mener la bataille autrement qu’avec des mots, pour construire la grève générale reconductible.

Jusqu'au 10 mai, l'intersyndicale nationale n'a indiqué aucune date pour une nouvelle véritable journée de grève interprofessionnelle, mais la date du 17 mai est dans les tuyaux parce qu'elle correspond à la fin des débats prévus à l'Assemblée. Elle viendra se coupler à l'appel à la grève reconductible lancé par Sud Rail : l'enjeu est donc de populariser l'idée que ces deux jours doivent être le début de la grève qu'on « reconduit », selon l'expression de Martinez lui-même à la tribune de « Nuit debout » le 28 avril.

Un joli mois de mai ?
 
Les ingrédients d’un mouvement pouvant gagner se conjuguent peu à peu :
  • un mouvement lycéen qui continue, certes de manière inégale, mais avec toutes les caractéristiques d’une mobilisation qui échappe à toute forme de contrôle ;
  • des manifestations interprofessionnelles répétées partout dans le pays, et les secteurs privé et public mobilisés ensemble, alors même que le secteur public pourrait se sentir moins concerné par la loi El Khomri ;
  • des grèves qui se déclenchent dans certaines entreprises sur des revendications propres, dans la foulée des journées de mobilisation interprofessionnelles ;
  • le retour des intermittents sur le devant de la scène sociale ; c’est un secteur dont on connaît la capacité à faire des actions retentissantes, qui dépassent largement la faiblesse numérique de ce secteur salarié ;
  • des équipes syndicales combatives, qui entrent parfois en opposition ouverte avec leurs directions et qui se battent là où elles sont, en poussant à la grève reconductible ;
  • le refus de céder à la peur devant la répression et la violence policières ;
  • le phénomène de « Nuit debout », malgré ses contradictions et ses limites, est une expression du potentiel contestataire que recèle le mouvement dans son ensemble ; « Nuit debout » ne veut pas seulement faire échec au gouvernement sur la loi Travail, mais cherche aussi à reprendre la rue après l’état d’urgence, et refuse de se plier à cette routine quotidienne que d’autres contestataires avaient qualifiée en leur temps de « Métro, boulot, dodo ».
Notre intervention politique
 
Quand nous intervenons dans « Nuit debout », nous devons le faire en tant que parti, avec l’axe que nous défendons dans le reste du mouvement : celui de la convergence des luttes, de leur auto-organisation en vue de la grève générale, de l’affrontement avec le gouvernement et de l’auto-protection du mouvement vis-à-vis de l’appareil de répression étatique ; nous devons le faire, bien sûr, en y défendant nos idées anticapitalistes et révolutionnaires, comme d’autres vont défendre les leurs. Nous devons nous efforcer de lier « Nuit debout » et le mouvement des jeunes, et de constituer des « pôles ouvriers », des « commissions travailleuses et travailleurs en lutte », afin de donner une caisse de résonance aux grèves et aux luttes du monde du travail, et de les centraliser. Si les équipes militantes combatives du monde du travail et de « Nuit debout » unissent leurs forces, si les forces présentes dans « Nuit debout » s’orientent vers le soutien aux grèves dans une perspective de construction de la grève reconductible, et si les revendications propres des travailleurs se combinent avec une expression centralisée de la colère globale, tous les espoirs sont permis.

D’une manière plus générale, il faut renforcer le parti, en proposant à celles et ceux que nous influençons, ou que nous touchons dans le mouvement, de s’organiser avec nous ; d’abord dans des cadres dédiés à la poursuite du mouvement puis, progressivement, dans les structures du parti pour celles et ceux que la lutte contre la loi Travail convaincra de la nécessité d’un engagement politique plus global. Nous devons organiser des réunions publiques avec nos porte-paroles, sur le thème de la construction d’un « nouveau Mai 68 contre la loi Travail ». En un mot, nous devons nous montrer audacieux et volontaristes, car nous sommes engagés à fond dans un mouvement que nous contribuons à renforcer, et qui nous renforce également.

Marie-Hélène Duverger

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