Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours

La publication de cet ouvrage arrive à point nommé, après des années où l’on nous a abreuvés du concept d’« identité nationale » et d’une histoire conçue comme un « récit national ». 

« Les luttes et les rêves » est le titre du troisième livre des Contemplations, où Victor Hugo relate la misère sociale et morale dont il est le témoin, dénonçant les scandales, la guerre, la peine de mort et la tyrannie. Michelle Zancarini-Fournel s’inscrit dans sa lignée, comme dans celle d’Howard Zinn et de son Histoire populaire américaine : elle scrute l’histoire du pays par en bas, en se plaçant du côté des classes populaires et des opprimés, ce qui est un point de vue rarement entendu, rarement enseigné dans les écoles.

Un creuset des peuples, une histoire d’hommes… et de femmes 

Si l’histoire de France n’a pas pour origine véritable « nos ancêtres les Gaulois », elle ne saurait non plus se réduire à l’Hexagone. L’historienne y inclut les colonisés et les migrants, qui ont façonné le pays, ainsi que les femmes, maintenues traditionnellement dans l’ombre des « grands hommes ». De fait, cette histoire est riche, diverse, passionnante.

L’ouvrage commence en 1685, avec l’adoption du Code noir qui fournit une base juridique à l’esclavage aux Antilles et en Guyane. C’est aussi l’année de la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV, qui se traduit par de nouvelles persécutions anti-protestantes. Oppression coloniale et oppression religieuse sont le point de départ de l’ouvrage, dont le thème apparaît immédiatement : il s’agit d’évoquer tous ceux qui subissent une domination, religieuse, sociale ou politique, et du même coup, de relater l’histoire des résistances. L’auteure s’appuie sur une documentation foisonnante, qui permet de revivre tous les épisodes historiques avec ceux qui se sont battus.

La guerre sociale 

À la lecture de ce livre, on est marqué par la férocité des dominants, qui s’égrène à chaque étape. Répressions, exécutions massives, bagne et emprisonnement sont utilisés pour faire rentrer dans le rang ceux qui osent s’opposer à la barbarie bourgeoise. On est marqué également par la détermination des opposants.

La liberté de penser de l’auteure, sa façon de remettre tous les mythes et les « grands hommes » à leur juste place, sont absolument délectables. Au sujet de la Révolution française, elle insiste sur son côté bourgeois, et par exemple sur le fait que c’est « sous la pression de la révolte que l’abolition de l’esclavage est proclamée à Saint-Domingue [Haïti], il faut l’affirmer avec force ». Elle souligne de façon extrêmement vivante ce que peut être l’irruption des masses sur la scène politique. Elle remet les pendules à l’heure en ce qui concerne Napoléon et son Code civil : c’est un conservateur, qui en plus de rendre les femmes mineures d’un point de vue légal – c’est-à-dire totalement soumises à leurs maris –, rétablit l’esclavage aux Antilles en 1802.

Au sujet de la Commune de Paris de 1871, l’historienne salue la mémoire de Louise Michel, exilée en Nouvelle-Calédonie après la répression versaillaise, et faisant à 74 ans une tournée de conférences en Algérie, contre l’Église, l’armée et pour l’Internationale ! L’ancienne communarde détaille la « sanglante conquête de l’Algérie », très loin des déclarations sur le « rôle positif » de la colonisation. La colonisation prend d’ailleurs une place importante dans l’ouvrage : les répressions menées par l’armée et les pratiques des colons qui s’approprient les terres sont détaillées pour chaque pays.

Les grands combats des travailleurs sont mis en avant : mai-juin 1936, où l’on voit à la fois la détermination des travailleurs, l’ambiance de fête, mais aussi l’esprit revanchard des patrons qui annonce les années pétainistes, les combats de l’après-guerre, notamment les grandes grèves des mineurs et des fonctionnaires.

Les violentes « Trente Glorieuses »

Michelle Zancarini-Fournel n’oublie pas de s’attaquer au mythe des « Trente Glorieuses », cette période qui résonne dans les mémoires comme une sorte d’âge d’or malgré les conditions de travail très pénibles, avec un rythme démentiel, l’introduction du chronométrage dans les usines, l’état indécent des logements.

Il ne faut pas non plus oublier que c’est pendant ce supposé âge d’or que s’est déroulée la sale guerre d’Algérie, avec ses manifestations de soldats rappelés au front, la torture et les massacres d’État. L’auteure insiste sur le fait que pendant ces « Trente Glorieuses », un travailleur sur cinq était un migrant, qu’un autre travailleur sur cinq était une travailleuse, et que la reconstruction a eu lieu grâce à leur travail et à leur sueur. Toutes ces vérités ont été soigneusement enfouies, car il ne faudrait surtout pas rendre hommage à ces immigrés « qui ont fait la France »… pour reprendre le sous-titre de l’exposition « Ciao Italia ! » que le Musée national de l’histoire de l’immigration consacre aux travailleurs italiens jusqu’au 10 septembre 2017 à Paris.

Laurence Vinon

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